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CHAPITRE I

CORPS ET POLITIQUE
 

« Corps et politique » aborde la relation corps-espace, celle-ci étant entendue comme une forme de connaissance. L’une des manifestations de ce corps sur la scène publique est donnée par les affiches de bouches que Graciela Sacco collait dans la rue, durant les années 1990. Le titre Bocanada, boca-nada [littéralement « bouche-rien », « bouche-néant » – mais aussi bouffée en espagnol], était justement une référence, à partir d’une image en quelque sorte dystopique, aux politiques néolibérales du ménémisme qui ont conduit l’Argentine au chômage, à la pauvreté, à la crise économique et alimentaire par laquelle le pays a fait son entrée dans le xxie siècle. En 2018, on a vu également placarder dans l’espace public les affiches du collectif féministe Nosotras Proponemos (nP [C’est nous qui proposons]) – Assemblée permanente des travailleuses de l’art, créée en 2017. Ces affiches furent réalisées dans le cadre de la campagne pour la légalisation de l’avortement – politique d’urgence des corps. Il est question de politiques du corps non seulement parce que ces actions sont étroitement liées à l’agenda social mais surtout parce qu’elles constituent de nouvelles façons de créer et d’organiser les significations des corps. Tels sont les aspects explorés dans les performances de Silvia Rivas, María José Arjona et Joiri Minaya. Elles sondent les relations du corps avec l’espace, avec les objets, et nous placent face à des situations qui repoussent les limites et les significations du corps.

Andrea Giunta, Notes à propos de Puisqu’il fallait tout repenser

Les bouches (fragments de corps), imprimées en héliographie et collées dans les rues de Rosario et de Buenos Aires dès 1993 par Graciela Sacco, évoquent les inégalités sociales que l’expérience néolibérale a accentuées avant de plonger le pays dans la crise de 2001. Graciela Sacco revendiquait l’existence d’un lien entre avant-garde artistique et avant-garde politique tel qu’il fut développé pendant l’exposition Tucumán arde en 1968, sur laquelle elle a travaillé avant de publier, en 1987 (avec Silvia Andino et Andrea Sueldo), la première étude effectuée sur ce mouvement. Elle a eu recours à la technique de l’héliographie, impression par la lumière, procédé ancien utilisé pour reproduire des plans d’architecture. Elle photographiait, projetait et imprimait sur du papier enduit d’une émulsion photosensible ces bouches grandes ouvertes. Il s’agit de bouches anonymes. À la fois différentes et identiques. Leur accumulation dans l’espace public, ainsi que dans les espaces d’exposition, interfère et interpelle. Le symbole est aussi provocateur qu’énigmatique.

Andrea Giunta, Notes à propos de Puisqu’il fallait tout repenser

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Le titre est Bocanada, qui signifie « rien dans la bouche ». C’est une expression difficile à traduire. [...] Mon travail consiste à créer dans la rue des interférences du langage. Je crois que toutes les œuvres sont politiques, mais certaines d’entre elles sont plus politiques que d’autres, dans le sens où elles sont plus engagées socialement. Je suis très impliquée dans mon époque, dans ce qui se passe autour de moi, c’est quelque chose que j’interroge. Si quelqu’un ouvre la bouche, c’est parce qu’il a besoin de quelque chose et il me plaît d’arrêter la signification de l’action sur ce détail : quelle est cette chose dont on a peut-être besoin ? C’est une question. De quoi avons-nous besoin ? Ça peut être un cri, ça pourrait être quelqu’un qui a besoin de nourriture, ou autre chose... Voilà le sens que je poursuis. Être affamé n’est le souhait de personne, la faim ne tombe pas du ciel, c’est quelque chose qu’on produit. Et puis je me sers du mot bocanada pour poser ces questions. Je n’ai jamais su ce que ça signifiait, pour moi ça reste une question...

Graciela Sacco, Making of America Latina 1960-2013 , Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris, France, 2013.

Making of América Latina 1960-2013, Fondation Cartier pour l' art contemporain, Paris, France.

Dès 2015, à travers le mouvement #NiUnaMenos [#pasunedemoins], le féminisme est redescendu dans la rue en Argentine. Ce mouvement intergénérationnel a recensé les promesses non tenues des agendas de la deuxième vague féministe des années 1960 et les a réactivées à l’aune des revendications actuelles. Le droit des femmes à disposer de leur corps est devenu légal depuis peu, avec le vote par le Sénat, le 30 décembre 2020, de la loi sur l’Interruption volontaire de grossesse. À la suite des nombreuses manifestations qui ont eu lieu, les artistes se sont organisées pour rejoindre les luttes du féminisme et pour les introduire dans le champ spécifique de l’art.

 

Andrea Giunta, Notes à propos de Puisqu’il fallait tout repenser

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Le 7 novembre 2017, en réponse au décès brutal et prématuré de l’artiste Graciela Sacco qui avait dû continuellement faire face aux comportements patriarcaux du monde de l’art, et cent ans après la révolution d’Octobre, est fondée l’Assemblée permanente des travailleuses de l’art. À cette occasion, est proclamé l’Engagement pour des pratiques artistiques féministes, engagement dont les trente-sept points ont été rédigés de manière collaborative sur les réseaux sociaux. Trois mille adhésions sont recueillies en seulement quelques jours. Nosotras Proponemos réunit des artistes, des écrivaines, des commissaires d’exposition et des responsables culturelles. Lors de leurs assemblées, elles décident des actions à mener. nP s’est activement engagé pour sensibiliser l’opinion à la question de la discrimination des artistes femmes dans le monde de l’art, afin d’obtenir une représentation égalitaire. Il a également participé à des mobilisations et à des actions performatives pour le droit à l’avortement légal, sûr et gratuit, au côté de mouvements de femmes, lesbiennes, trans, travestis, et non-binaires, ainsi que contre toute forme de violence, qu’elle soit physique, symbolique, économique et institutionnelle, envers les corps féminins et féminisés.

“Nosotras proponemos”, Bienal 12, Porto Alegre, Feminin(s): Visualities, Actions, and Affects.

En 1993, Liliana Maresca se montre nue sur un montage d’images représentant ceux qui ont mis en place le projet néolibéral, le projet dictatorial et la politique internationale de 1970 à 1990, en Argentine et dans le monde. Ce sont des images relayées dans le cadre d’une enquête publiée par le quotidien argentin Página 12. Dans quelle mesure l’ordre de l’économie mondiale qui s’est constitué pendant ces années-là permet de comprendre l’état actuel du monde ?

Andrea Giunta, Notes à propos de Puisqu’il fallait tout repenser

[...] D’une certaine manière, je sentais que ma corruption était liée à la corruption nationale, puis je me suis rendu compte que... d’une certaine façon, je m’étais préservée, certes, à un prix élevé... Mais aussi... que la tentation était là... toujours à me tarauder... et que j’ignorais combien de temps encore je pourrais échapper à cette corruption... À présent, je crois que je ne succomberai jamais, je crois que je suis innocente.

 

 

Liliana Maresca en conversation avec León Ferrari, à Fondo Azul, le 27 juin 1993. Transcription de la vidéo, inédit, Archives Adriana Miranda.

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[...] Certaines réalités me touchent mais je ne peux y échapper ni cesser de les voir, et elles me dérangent, alors j’essaie de trouver une réponse et je m’implique... corps et âme, et je me mets à nu. Je crois que je me suis dénu- dée pour montrer que moi aussi j’étais mêlée à tout ça... cette dimension dégueulasse de la société que je déteste et qui me demande constamment de définir ma position... je m’aperçois que je suis entraînée par ça, comme par quelque chose qui me prendrait par les cheveux et me jetterait à terre en me disant : « Toi aussi, tu es une prostituée »... mais, moi, au moins, j’éprouve cette expérience, au moins, je suis capable de dire : je suis une prostituée vautrée dans la fange. J’essaie d’en sortir comme je peux... par exemple en disant aux autres que ça, c’est de la merde... Je vais mourir, je crois, en pensant que ça doit changer... et j’y consacre toute mon énergie

Liliana Maresca en conversation avec León Ferrari, à Fondo Azul, le 27 juin 1993. Transcription de la vidéo, inédit, Archives Adriana Miranda.

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Pour achever son projet, Liliana Maresca s’est rhabillée et a installé des images-pancartes dans la Réserve écologique de Buenos Aires. À l’endroit même où l’on avait jeté les décombres des autoroutes construites par la dictature civilomilitaire, la nature a repris ses droits ; zones humides et bois s’y sont développés, abritant oiseaux, ragondins et lézards. Ainsi, en marge de la ville de Buenos Aires, de nouveaux écosystèmes sont nés, ce qui n’est pas sans rappeler – comme en ces temps de pandémie – que, lorsque l’humain s’efface, la nature accroît sa biodiversité. On le voit aujourd’hui. La destruction des barrières naturelles entre les écosystèmes a créé les conditions favorables au développement d’une épidémie. Cela n’a cependant pas eu lieu dans les années 1990 avec la même force qu’aujourd’hui. À cette époque, les gravats de la Réserve écologique gardaient encore l’allure d’une décharge sauvage à ciel ouvert. C’est là-bas que Liliana Maresca a porté ses collages et qu’elle les a installés tels des panneaux publicitaires interrogeant ces signes en mutation, entre destruction et surgissement de la vie.

Andrea Giunta, Notes à propos de Puisqu’il fallait tout repenser

Vidéo réalisée dans la réserve écologique, Costanera Sur, Buenos Aires, Image publique- Altas esfera , 1993.

Extrait de Frenesí , 1994, exposition rétrospective vidéo-catalogue Liliana Maresca.

Réalisation Adriana Miranda, production Liliana Maresca et Adriana Miranda.

La vidéo et les photographies de la performance Intempestivas nous montrent María Teresa Hincapié dans une sorte de rituel extrême faisant référence à la violence en Colombie, où se croisent des allusions aux mythes et autres citations religieuses. José Alejandro Restrepo a réalisé la vidéo ; María Teresa inscrit dans la performance ainsi enregistrée une dimension sacrificielle essentielle. La redéfinition du corps replié et mis en mouvement par la forme donne lieu à une performance qui explore les limites de l’espace. Un espace où l’artiste se déplace parmi les téléviseurs, chante, étire son corps sur une scène, au rythme de la prière, sous un éclairage coloré.

Andrea Giunta, Notes à propos de Puisqu’il fallait tout repenser

Cliquez ici pour plus d'informations | Pour voir la vidéo, demandez le lien et le mot de passe Rolf Art.

On a fait Intempestivas en 1992. Je m’intéressais davantage à la violence et à la violence politique. On y trouve quelques évocations à demi-mot de ce à quoi pourraient s’apparenter les liens mythiques et mystiques, qu’à l’époque je ne comprenais pas très bien, et puis il y avait aussi un volet sur la micro- politique. On a fait une scène sur la violence conjugale. C’étaient des travaux très expérimentaux, pas toujours aboutis ni totalement réussis, mais voilà, c’était leur nature, c’était leur statut de travail expérimental. Lorsque j’ai eu l’idée du cube scénique, tout de suite se sont déclenchés quantité de projets et de réalisations que j’ai alors menés à bien avec María Teresa et qui comptent parmi mes œuvres les plus importantes et les plus révélatrices des possibilités entre le langage et la plasticité des arts vivants.

José Alejandro Restrepo à propos de Intempestivas dans une interview avec le magazine Cambio 16 (Bogota), 2006.

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Intempestivas a été la deuxième œuvre à laquelle j’ai invité María Teresa à participer. Cette rencontre a été vraiment intéressante parce qu’à la fin des années 1980 je crois qu’il y a eu une confluence, une sorte de destin qui a permis notre rencontre... comme des volontés en quête d’un espace commun. D’un côté elle, comme actrice de théâtre, un peu en crise par rapport à la question de la représentation, y compris au sein de la performance. D’un autre côté, moi, qui désirais interroger la relation entre image, vidéo et présentation en direct, dans des espaces intermédiaires (qui ne soient ni l’espace propre aux galeries, ni celui des musées). J’étais très intéressé par les espaces alternatifs, le cube scénique par exemple m’intéressait beaucoup en tant que tel. Alors, je me targue de l’avoir « séquestrée », de l’avoir sortie du monde du théâtre et de l’avoir introduite dans le monde de la performance.

José Alejandro Restrepo, Puisqu’il fallait tout repenser, Conversation #4, 27 juin 2020

María José Arjona travaille sur la puissance d’évocation d’une politique des corps. Une politique entendue ici comme réagencement du sens qui apparaît lorsqu’un corps explore sa relation avec l’espace et avec un objet aussi propre à l’homme, dans sa longue histoire, que la chaise. Nombreuses et nombreux sont les artistes qui ont eu recours à cet objet et dont nous gardons un vif souvenir. De Joseph Kosuth à Esther Ferrer. Surtout Esther Ferrer, puisque le travail de María José Arjona se rapproche d’une recherche davantage affective qu’analytique. Dans la photo-performance La belleza del animal de cuatro patas – qu’elle réalise lors d’une résidence d’artiste à Watermill, Long Island, N.Y., centre fondé à l’initiative du metteur en scène Robert Wilson –, on voit María José Arjona explorer les distances, la relation entre la chaise et l’espace. Une action biométrique dans laquelle, le corps replié, elle se place dans et sur cet objet si ordinaire, si universel. Lorsque nous regardons la série, nous sentons le rythme, le système et les ébauches d’une méthode qui, centrée sur un objet, dans l’espace, permet de mettre en évidence combien cette chaise change María José Arjona en un sujet affectif, en un corps-chaise-animal.

Andrea Giunta, Notes à propos de Puisqu’il fallait tout repenser

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Cette œuvre surgit au cœur d’un rude hiver. Durant ma résidence au Watermill, j’ai beaucoup travaillé à l’extérieur à cause de la puissance archi- tectonique du centre, situé en pleine forêt et aussi parce que le point de départ de la proposition était cette relation avec le dehors. Robert Wilson a collectionné quantité de chaises qu’on peut voir dans ses œuvres. C’est un objet primordial dans sa cosmologie. J’ai été très intéressée par la chaise de la vidéo parce qu’elle contient des lignes qui étaient inexistantes au Watermill: les lignes courbes, le cercle, l’organique et un mélange de matériaux comme le corps et le bois qui font apparaître la forêt et la peau. À ce moment-là surgit l’animal dont j’associe les pattes aux quatre pieds de la chaise. Ces éléments en tête, je commence à me déplacer autour de la chaise et je remarque l’intention chorégraphique contenue dans les objets, ces mouvements rituels qui n’émergent que lorsque le corps établit une relation d’horizontalité avec l’objet, avec sa nature. L’espace où je décide de tourner la vidéo est le placard de la chambre des artistes. Souvenirs des corps qui ne sont plus là et qui laissent derrière eux des peaux ou des vestiges.

María José Arjona, Puisqu’il fallait tout repenser, Conversation #1, 30 mai 2020.

L’œuvre de Silvia Rivas entre en dialogue avec celle de María José Arjona. Toutes deux explorent la relation entre l’espace et le corps. Chez Silvia Rivas le contact relève de la survie, d’une relation d’épuisement où la boîte conditionne le corps. Dans cet espace réduit, sans doute étouffant, on main- tient, on reproduit la vie. C’est aussi une situation extrême, puisque Silvia Rivas délègue ici l’action à sa fille. Pour reprendre le concept introduit par l’historienne d’art Claire Bishop, il s’agit d’une performance « déléguée ». Silvia Rivas a réalisé cette vidéo diffusée sur plusieurs chaînes, sur plusieurs écrans, pendant la période de post-crise en Argentine. Elle nous met face à une limite, à un abîme, proposant une relation en miroir entre deux temps où tout semble se reformuler.

Andrea Giunta, Notes à propos de Puisqu’il fallait tout repenser

Lorsque j’ai réalisé cette série j’étais déjà embarquée dans le travail de vidéo-installation par lequel j’ai démarré timidement dans les années 1990, avec l’image en mouvement comme outil de syntaxe temporelle pouvant transmettre des situations d’expériences vécues. Mon travail, c’est ça. Susciter des associations expérientielles concrètes, même si celle-ci part de chacun, elle n’est en rien autoréférentielle. Ce sont des rapports auxquels tout être humain peut être confronté. Ici, la femme est enfermée dans un espace, un cube minimal, où elle entre en résistance contre les murs, contre cette limite, qui est une boîte, sans identité spatiale très concrète, et en même temps, elle est prisonnière du meuble télé, cette boîte où l’on confine la vie, aujourd’hui plus que jamais. Les dispositifs renferment une réalité dont on peut se distinguer de moins en moins. Mais ça s’organise dans l’espace, comme ces boîtes où se trouve cette femme, une personne, qui, en l’occurrence, est aussi ma fille. J’ai fait ça à un moment de crise ahurissante en Argentine, en 2002, j’essayais de montrer une situation vécue pouvant concerner tout le monde, au-delà des conjonctures et des circonstances qu’on traverse en tant que personne. Par exemple, on peut vivre un présent où il n’est pas envisageable de commettre la moindre erreur, on sait seulement qu’on est vivant, là, en prison ou chez soi. Circonstances comme celles qu’on vit aujourd’hui.

 

Silvia Rivas, Puisqu’il fallait tout repenser, Conversation #1, 30 mai 2020.

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Biopolitique, façons de reproduire la vie, penser le corps à nouveau. Quelle est la tension entre le corps et ce qui est au-dehors ? Telle est la pulsion que questionne et à laquelle nous renvoie la vidéo Satisfecha de Joiri Minaya. L’artiste trempe dans le café et le sucre des formes molles, du tissu rembourré, puis les introduit dans sa bouche, jusqu’à la remplir entièrement. Le café et le sucre font référence ici à la condition coloniale, à cette manière de pousser le corps à bout. Il s’agit d’une femme. Joiri Minaya travaille sur l’articulation des stéréotypes de genre et de race que portent les regards sur le corps féminin des Caraïbes, toujours abordé comme un sujet exotique.

Andrea Giunta, Notes à propos de Puisqu’il fallait tout repenser

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Satisfecha est une performance pensée pour la vidéo, même si plus tard je l’ai réalisée en direct au Museo d’Arte Moderno de République dominicaine, en 2013. À l’époque, je créais des œuvres qui entraînaient une exploration intérieure, personnelle, une exploration de l’espace domestique. Le corps avait une grande présence, que ce soit le corps féminin ou le corps masculin de mon compagnon, corps et espace domestique. Je réalisais des sculptures molles en tissu rembourrées de coton, je les posais sur mon corps, elles évoquaient l’idée de projection sociale sur le corps féminin, les rôles de genre et les rôles sociaux. Cette œuvre appartient à une série où j’utilise ces formes, les trempe dans le café, puis dans le sucre, et les introduis dans ma bouche. C’était une réflexion sur l’idée de résignation ou sur l’idée de s’accommoder du rôle qui vous échoit ; cela dit, la position de pouvoir dans laquelle je me place lorsque je m’inflige cela n’est en rien extérieure au processus. La demande sociale change en fonction des rôles, et moi, je me rends complice en m’infligeant cette chose-là. Le café et le sucre étaient très importants. Ce sont des substances qu’on associe à l’histoire coloniale de la République dominicaine et du continent latino-américain. Ce sont aussi des substances qui ont à voir, disons, avec le labeur et le rendement, elles te réveillent, te donnent de l’énergie. C’était une manière d’interpeller sur la résignation et la complicité dans un système patriarcal.

 

Joiri Minaya, Puisqu’il fallait tout repenser, Conversation #2, 13 juin 2020.

BIOGRAPHIES | CHAPITRE I

Graciela Sacco (1956-2017 à Santa Fe).

Artiste visuelle ayant représenté l’Argentine lors de nombreuses biennales internationales, parmi lesquelles Shanghai (2004), Venise (2001), La Havane (1997, 2000), Mercosul (1997) et São Paulo (1996). Saluée par de multiples prix et récompenses, elle a notamment été nommée Artiste de l’année par l’Asociación Argentina de Críticos de Arte (2001) et a reçu le prix de la Fondation Konex (2002, 2012). Son travail et sa carrière ont été présentés dans nombre de publications nationales et internationales majeures, parmi lesquelles Bomb, ArtNexus, ArtNews, Le Monde et le New York Times. Aujourd’hui son travail est présent dans des collections nationales et internationales, publiques et privées.

Nosotras Proponemos (depuis 2017 à Buenos Aires).

Assemblée permanente des travailleuses de l’art. « Nous – artistes, conservatrices, chercheuses, autrices, galeristes, travailleuses de l’art – affirmons notre engagement en faveur de pratiques féministes qui visent à faire prendre conscience de l’omniprésence des comportements sexistes et patriarcaux dans le monde de l’art, comportements qui régulent notre façon de nous positionner. Si cette déclaration concerne en premier lieu l’exclusion historique des artistes femmes et leur dévalorisation, ses propositions peuvent être reprises et soutenues par les femmes, les hommes, les personnes à l’identité non normative. Elle a pour ambition d’être un guide suggérant des pratiques personnelles et institutionnelles. »

Liliana Maresca (1951-1994 à Buenos Aires).

Elle est une figure emblématique de l’émergence de la scène artistique argentine du début des années 1980. Ses œuvres sont présentes dans les collections du Museo de Arte Latinoamericano de Buenos Aires (MALBA) ; du Museo de Arte Moderno et du Museo de Bellas Artes de Buenos Aires ; du Museo de Arte Contemporáneo de Rosario ; du Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, à Madrid; et de la Tate Modern, à Londres, pour n’en citer que quelques-uns. Ces dernières années, son travail a été présenté dans des expositions telles que Verboamérica, au MALBA de Buenos Aires (2016) ; Radical Women: Latin American Art, 1960-1985, au Hammer Museum, à Los Angeles, au Brooklyn Museum et à la Pinacoteca de São Paulo (2017- 2018) ; sa rétrospective El ojo Avizor a été montrée au Museo de Arte Moderno de Buenos Aires (2017).

María Teresa Hincapié (1956-2008 à Colombie).

Artiste performeuse pionnière, figure incontournable en Amérique latine. Elle commence sa carrière artistique au théâtre grâce au groupe Acto Latino, auquel elle appartient. En 1987, elle découvre l’univers de la performance avec Parquedades, œuvre de l’artiste José Alejandro Restrepo, qui l’éloigne définitivement des formes théâtrales et de la notion conventionnelle de «spectacle». Elle remporte le premier prix lors du 33e Salón Nacional de Artistas à Bogotá (1990, 1996). Elle a participé à de nombreuses expositions internationales comme la 1re Biennale de Valencia (2001), la 51e Biennale de Venise (2005) ou la 27e Bienal de São Paulo (2006).

José Alejandro Restrepo (né en 1959 à Colombie).

Il travaille l’art vidéo depuis 1987 à travers différents médiums (monobandes, performances et installations vidéo). Actif tant dans la recherche que dans l’enseignement, il a participé à de nombreuses expositions, notamment TransHistorias, Banco de la República, à Bogotá (2001) ; Tempo, au Musem of Modern Art, New York (2002) ; à la 52e Biennale de Venise (2007) ; à la Bienal do Mercosul, à Porto Alegre (2009, 2011) ; Contingent Beauty: Contemporary Art from Latin America, au Museum of Fine Arts, à Houston (2015) ; Religión catódica, à la Fundación OSDE, à Buenos Aires (2017) ; Pacific Standard Time: LA/LA, à Los Angeles (2017) ; et À toi appartient le regard (...) la liaison infinie entre les choses, au musée du quai Branly - Jacques Chirac, à Paris (2020). Il vit et travaille en Colombie.

Silvia Rivas (née en 1957 à Buenos Aires).

Elle a représenté l’Argentine pour les 3e et 5e éditions de la Bienal do Mercosul, la 8e édition de la Biennale de La Havane, Bienalsur 2019, et la 15e édition de Video Brazil. Elle expose régulièrement dans de prestigieuses institutions comme le Museo de Arte Moderno et le Museo de Arte Latinoamericano, à Buenos Aires. Elle a reçu la bourse de la Fondation John Simon Guggenheim Memorial en 2001. Elle a également été honorée du diplôme du mérite de la Fondation Konex ; elle s’est vu attribuer une bourse de résidence au Wexner Center for the Arts, à Columbus (Ohio); elle a été récompensée par le prix de l’Art numérique argentin à la Bienal Internacional de Arte de Buenos Aires. Elle vit et travaille à Buenos Aires.

María José Arjona (née en 1973 à Bogotá).

Initialement formée à la danse, elle se consacre ensuite à la performance. Elle est diplômée de l’Academia Supérior de Artes de Bogotá. Son travail a été présenté dans des musées et des galeries, mais aussi lors d’événements internationaux, parmi lesquels la 3e Triennale de Guangzhou (2008) ; le Museo MADRE, à Naples (2010) ; la 4e Biennale de Marrakech (2012) ; le 43e Salón Nacional de Artistas, à Medellín (2014) ; le NC-arte, à Bogotá (2014) ; le CaixaForum de Madrid (2015) ; la Kunsthalle d’Osnabrück (2016) ; le Museo de Arte Moderno de Bogotá (2018). Elle a participé en tant que re-performeuse à la rétrospective Marina Abramović au Museum of Modern Art (New York, 2010) ainsi qu’au programme d’artistes en résidence du Watermill Center (Long Island, N.Y., 2009). Elle vit et travaille à Bogotá.

Joiri Minaya (née en 1990 en République dominicaine).

Artiste multidisciplinaire établie à New York. Elle a été élève à l’Escuela Nacional de Artes Visuales et à Chavón, La Escuela de Diseño, toutes deux situées à Saint-Domingue, mais aussi à la Parsons School of Design – The New School, à New York. Minaya a présenté des expositions un peu partout dans les Caraïbes, aux États-Unis et à l’international. Elle a participé à des résidences à Skowhegan, Smack Mellon, au Bronx Museum, à la Red Bull House of Art, à Art Omi, et au Vermont Studio Center ; elle a également reçu des bourses de fondations telles qu’Artadia, Rema Hort Mann et la Fondation Joan Mitchell. Lauréate de plusieurs prix dans deux expositions dominicaines (le 25e Concurso León Jimenes ; la 27e Bienal Nacional), elle a produit des œuvres qui font désormais partie de la collection nationale.

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