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CAP4 - Aline Motta - (Other) Foundations

CHAPITRE IV

MÉMOIRES AU PRÉSENT

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L’art contemporain a fait de la mémoire une topique (topos) récurrente. La mémoire est associée au recuerdo [souvenir], qui provient de re, « de nouveau », et de cordis, « cœur » : c’est-à-dire repasser par le cœur, par les affects. Ce passé qui redevient présent quand on le convoque, et qui, d’une certaine façon, advient de nouveau lorsque, en prenant une certaine distance méditative, nous comprenons que l’on a besoin d’éprouver une deuxième fois les événements. Un passé qui n’est pas clos. Les références et les significations sous-jacentes des images se déploient lorsqu’on les interroge depuis le présent. On pourrait penser par exemple aux archives convoquant la violence exercée sur les corps au cours de l’histoire (l’anéantissement, l’exploitation, l’esclavage) et sur lesquelles il est urgent de se pencher. On pourrait aussi penser aux archives d’un passé plus récent liées au goût, à la consommation dont les conséquences s’accentuent dans l’état actuel d’épuisement du monde.

Andrea Giunta, Notes à propos de Puisqu’il fallait tout repenser

Dans (Outros) Fundamentos, Aline Motta réunit les archives visuelles qu’elle a constituées lors d’un séjour au Nigeria et celles de l’esclavage au Brésil. L’impression d’étrangeté ressentie durant son voyage en Afrique a brisé son sentiment d’appartenance. Aline Motta a voulu revenir sur la distance géographique, sur la cassure et la blessure que l’esclavage a laissées dans l’expérience sociopolitique brésilienne. À Rio de Janeiro, le premier cas de Covid-19 a été celui d’une femme de ménage contaminée par son employeuse, une habitante de Leblon. Alors qu’elle revenait d’Italie, celle-ci n’avait pas accepté que son employée de maison arrête de travailler et bénéficie du chômage partiel. Au Brésil, il existe un apartheid officieux, social et politique. Les plus pauvres, femmes et hommes noirs, indigènes, sont les plus nombreux à mourir à cause de la pandémie.

 

Andrea Giunta, Notes à propos de Puisqu’il fallait tout repenser

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(Outros) Fundamentos est la troisième vidéo d’une trilogie commencée il y a quelques années. Dans ce cadre, j’ai mené une enquête sur ma propre famille, sur mes racines. Cette enquête était structurée en quatre parties. La première, je l’ai appelée « Mon père », c’est avec lui que j’ai voyagé de Rio de Janeiro à Minas Girais. La deuxième partie, je l’ai intitulée « Ma maman » – mon papa est blanc, ma maman est noire. Je suis allée dans une zone rurale de Rio de Janeiro, une zone de plantations de café. La troisième partie, je l’ai appelée « L’autre », et je me suis rendue au Portugal. La quatrième partie, enfin, je l’ai intitulée « Origine », et je suis allée au Sierra Leone et quelques mois plus tard au Nigeria. Cette vidéo, qui est la dernière, évoque mes expériences au Nigeria. J’ai passé trente-deux jours à Lagos, ce que j’ai vécu a été très intense, très fort. Par la vidéo je tente d’aborder ce moment où l’on se sent étranger, et cet autre moment où l’on tente de revenir à un état des choses qui sans doute n’existe plus, en tout cas, là où on le cherche. La diaspora cherche à résister, on essaie de s’accrocher à une langue, à une culture, mais les choses évoluent, et ce n’est plus le Nigeria d’il y a deux cents ans. Comment affronter ce défi de communiquer de nouveau ? Pour ma part, j’ai construit une stratégie de communication par l’eau. Si l’eau a une mémoire, si je peux invoquer l’eau, que pourrait-elle me dire ? Au Nigeria, la ville s’appelle Lagos, lac en portugais, ce sont les Portugais qui lui ont donné ce nom. Puis, au Brésil, il y a Rio (fleuve, en portugais), Rio de Janeiro c’est le fleuve, et dans l’État de Bahia je suis allée dans une ville appelée Cachoeira, qui signifie cascade, trois villes où il y a de l’eau, trois villes dénommées par l’eau. Comment pouvais-je rétablir cette communication, qui est une communication qui cherche à transcender, à communiquer à un autre niveau ?

Aline Motta, Puisqu’il fallait tout repenser, Conversation #2, 13 juin 2020.

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Cristina Piffer retourne aux archives photographiques du Museo de La Plata pour revisiter les photographies réalisées en 1906 par Robert Lehmann- Nitsche, médecin et anthropologue allemand, et Carlos Bruch, entomologiste. Pour cela, elle emploie la technique du collodion humide. Dans Braceros les portraits sont issus des archives de l’oppression. Indigènes Chiriguanos, Chorotes, Matacos et Tobas ont été emprisonnés lors de l’avancée militaire gouvernementale sur le Gran Chaco. Enfermés, séparés de leurs familles, ils ont été contraints de travailler dans des conditions extrêmement difficiles. Lorsque l’on découvre, avec stupéfaction, la presse qui relatait les manifestations de l’époque contre les assassinats racistes, ces archives sur lesquelles la « République » argentine est fondée cessent de n’appartenir qu’au passé. Elles s’appliquent aujourd’hui aussi bien aux îlots de pauvreté des zones métropolitaines de Buenos Aires, qu’aux bidonvilles où la pandémie frappe de plein fouet. On ne voit pas toujours ces images de manière nette. Le procédé d’impression les fixe dans un territoire ambigu de sentiments contradictoires, un territoire où se renforce la connexion avec des archives du passé redevenues visibles, et dont on retrouve des échos dans le présent.

Andrea Giunta, Notes à propos de Puisqu’il fallait tout repenser

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Je sens que pour comprendre le présent il faut comprendre le passé, non comme s’il était mort, clos, mais plutôt comme une chose qui se répète... L’exécution de Dorrego, la Conquête du désert, la Semaine tragique, le massacre de Trelew, la dictature militaire, on voit que ces faits s’enchaînent. De temps à autre, l’État frappe fort pour maintenir le statu quo. La cruauté de toute cette situation me fait peur.
Je travaille sur une série de portraits de caciques qui ont été détenus au Museo de Ciencias Naturales [Museum d’histoire naturelle] de La Plata. J’ignorais cette histoire... et ça m’a pris beaucoup de temps d’accéder à cette information parce qu’il s’agit de récits passés sous silence. Mario Rufer a réfléchi sur un événement qui a été pour moi très éclairant : la venue d’un groupe d’indigènes, lors de la remise des clés de l’ex-ESMA aux organismes de droits humains, qui exigeaient d’inclure dans le récit de ce lieu de mémoire celui des peuples originaires... On ne peut comprendre le terrorisme d’État sans réviser le génocide indigène. Un génocide inachevé...
Dans la série Braceros, je travaille à partir des archives photographiques réalisées en 1906 par l’anthropologue allemand Robert Lehmann-Nitsche dans la raffinerie de sucre La Esperanza (province de Jujuy). Le développement des raffineries de sucre a été étroitement lié à l’occupation militaire du Gran Chaco. Les nouvelles entreprises avaient à leur disposition les « bras bon marché » des populations indigènes et les immenses étendues de terre d’où ces populations avaient été expropriées. Les images de cette série interrogent le mythe fondateur de l’Argentine blanche : un projet de pays sans Indiens, sans métis, sans Noirs. L’État argentin a encouragé le blanchiment des espaces géographiques et œuvré pour rendre invisibles les populations préexistantes à la nation. Utilisant un procédé photographique de la fin du xixe siècle, je développe des images d’archives au moyen d’une émulsion argentique sur verre. La matérialité de l’argent métal renvoie à l’imaginaire colonial, qu’on peut retracer dans les dénominations successives du territoire : Vice-royauté du Río de la Plata, Provinces-Unies du Río de la Plata, et finalement Confédération, Nation, puis République argentine, nom où l’appellation est latinisée.

Cristina Piffer, « L’artiste des viscères », entretien réalisé par María José Tagliavini (blog), 10 août 2015 (révisé par l’artiste, le 23 février 2021). 

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[...] Dans l'oeuvre Inventory (2018), Piffer transcrit avec de la graisse, au moyen de la sérigraphie sur papier, des données extraites du registre des restes humains indigènes qui composent le Catalogue de la Section Anthropologique du Musée de La Plata , compilé en 1911 par le médecin et ethnologue allemand Robert Lehmann-Nitsche. Le lonko Mapuche Inacayal, l'un des derniers chefs indigènes à résister à l'avant-poste militaire de Roca en Patagonie, a été fait prisonnier en 1885 par l'armée et plus tard affecté, avec onze autres personnes, au musée de La Plata, en raison de ses efforts. directeur, l'expert Francisco P. Moreno. Là, ils ont été enfermés et forcés de travailler comme aides-soignants et ouvriers. Après sa mort en 1887, le corps d'Inacayal a été disséqué et exposé au musée. Le travail d'archives constitue une dimension cruciale dans l'œuvre de Piffer. Les archives photographiques du musée de La Plata servent également de base à l'artiste de la série Argento. [...]

 

 

Fernando Davis. Extrait du texte de la commissaire Cristina Piffer. Argento. Buenos Aires, 2018.

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En 1992, Marcos López a réalisé un portrait d’Elba Bairon. Il s’agit d’un portrait en noir et blanc (qui ensuite a été méticuleusement colorié) où, entourée de fleurs, elle affecte une pose des plus artificielles. L’artiste fait directement référence ici à l’histoire du portrait photographique et à ses formats populaires. Ces types de citations se sont accentués dans ses travaux des années 1990 et ont donné lieu à ce qu’on a appelé le pop latino. On pour- rait également penser ici à d’autres citations évoquant le goût populaire, aux objets bon marché et bariolés qui parcourent les œuvres de nombreux artistes de cette décennie (par exemple, Cristina Schiavi et León Ferrari, Marcelo Pombo, Gumier Maier, Liliana Maresca ou Fernanda Laguna).

Andrea Giunta, Notes à propos de Puisqu’il fallait tout repenser

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Nous avons réalisé ce portrait en 1992, dans le studio qu’on partageait avec le photographe RES, avenue Caseros, à l’angle de la rue Bolívar, où il vit toujours aujourd’hui. J’ai acheté une quantité de fleurs et de feuillage puis j’ai demandé à Liliana Maresca de nous aider pour la séance.
Liliana faisait office de maquilleuse, coiffeuse et directrice artistique.
En réalité, on a tout fait à trois. Il n’y avait pas d’assistants. Il y avait Elba, Liliana et moi. Liliana m’aidait à arranger les fleurs sur la tête d’Elba et les plantes destinées à recouvrir son corps.
Elba avait apporté un magnéto pour écouter des boléros et autres musiques romantiques.
Je n’ai eu besoin que d’un ou deux films de 12 poses 6 x 6 en noir et blanc.
À l’époque, je coloriais certains tirages avec des encres transparentes, comme il était d’usage chez certains photographes des années 1940 et 1950.
C’est moi qui ai tiré la photo et exécuté le coloriage à la main.

Marcos López, Note de l'artiste, Buenos Aires, mars 2020.

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BIOGRAPHIES | CHAPITRE IV

Cristina Piffer (née en 1953 à Buenos Aires).

Artiste et architecte. Diplômée de la Faculté d’architecture de l’Universidad de Buenos Aires en 1976. Depuis 1994, elle a pris part à de nombreuses expositions collectives. En 1997, elle reçoit le 4e prix Acquisition à la 2e Bienal Nacional de Arte de Bahía Blanca, sous l’égide du Museo de Arte Contemporáneo, pour une œuvre composée de deux pièces de bœuf moulées en résine de polyester. Depuis ses premières créations, Piffer aborde le thème de la violence politique dans l’histoire de l’Argentine depuis le xixe siècle, par l’exploration de diverses matérialités et l’étude des sources historiques et littéraires. Elle vit et travaille à Buenos Aires.

Aline Motta (née en 1974 à Rio de Janeiro).

Titulaire d’une licence en communication de l’Universidade Federal de Rio de Janeiro et d’un certificat en production filmique de la New School à New York, elle associe dans son travail la photographie, la vidéo, l’installation, la performance, le son, le collage et les matériaux textiles. Elle a reçu une bourse du Rumos Itaú Cultural (2015-2016) et le prix Marcantonio Vilaça pour les beaux-arts (2019), pour ne citer que quelques-unes de ses distinctions. Elle a pris part aux expositions Histórias feministas : artistas depois de 2000 et Histórias afro-atlânticas, qui se sont toutes deux tenues au Museu de Arte de São Paulo, et O Rio dos Navegantes au Museu de Arte do Rio (MAR). Elle a récemment présenté une exposition individuelle : Aline Motta : memória, viagem e água au MAR en 2020. Elle vit et travaille à São Paulo.

Elba Bairon (née en 1947 à La Paz).

Elle vit et travaille à Buenos Aires depuis 1967. Elle a étudié le dessin, la peinture chinoise, la gravure, la lithographie et depuis les années 1990, produit des pièces sculpturales pour des installations. Son travail a été montré lors d’expositions collectives ou individuelles au Centro Cultural Rojas, au Museo Nacional de Bellas Artes et au Museo de Arte
Latinoamericano de Buenos Aires ; à Art Basel ; à l’ARCO Madrid ; au Centro Cultural Cándido Mendes, à Rio de Janeiro ; au Museo Parque de las Esculturas, Santiago du Chili ; et à la galerie Nube, à Santa Cruz de la Sierra, en Bolivie. Elle a participé à la 33e Biennale de São Paulo. En 2012, elle reçoit le grand prix dans la catégorie «nouveau support et  installation» au Salón Nacional et le premier prix Federico Jorge Klemm pour les arts visuels, tous deux attribués en Argentine.

Marcos López (né en 1958 à Santa Fe).

Photographe et artiste visuel. Lauréat de nombreux prix et distinctions. Son travail a été exposé dans des musées et des galeries partout dans le monde ; on peut citer Pop Latino / Sub-realismo criollo, Instituto Cervantes, à Rome (2014) ; Ser Nacional, CCK, Buenos Aires (2016) ; Photography at its Limits, Houston Center for Photography (2019) ; et Pause déjeuner, Bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône, à Marseille (2019). Il a également dirigé de nombreuses publications. Ses photographies sont présentes dans les collections du Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, à Madrid ; du Museo de Arte Contemporáneo de Castille-et-León ; de la Fondation Daros Latinamerica, à Zurich ; et du musée du quai Branly - Jacques Chirac, à Paris. Il vit et travaille à Buenos Aires.

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